Modes alternatifs de règlement des conflits pour les Premières Nations- Questions liées au contrôle judiciaire - Réunion avec le Comité de liaison avec le Barreau de Montréal

 

Discours prononcé par l'honorable Anne Mactavish devant la Commission internationale de juristes, le 4 février 2013.

 

Bon après-midi. On m'a demandé de vous parler aujourd'hui du travail qu'accomplit la Cour fédérale dans le domaine de la sécurité nationale, ainsi que des efforts que nous faisons pour établir un équilibre entre la sécurité nationale et les droits de la personne.

En 2004, le juge Ian Binnie, qui siégeait à cette époque à la Cour suprême du Canada, a prononcé un discours lors de la Conférence de Hong Kong sur le droit criminel. Il a conclu ses propos en qualifiant le conflit entre les droits de la personne et la sécurité nationale de [traduction] « véritable choc des titans ».

Au Canada, la conciliation de ces enjeux titanesques est une tà¢che qui repose principalement sur les épaules d'un petit groupe de juges de la Cour fédérale qui ont été désignés par son juge en chef pour exercer la compétence de la Cour en ce domaine.

Je vais vous parler cet après-midi du rôle unique que le législateur a confié au juge en chef ainsi qu'aux juges désignés de la Cour fédérale relativement aux questions touchant la sécurité nationale, de même que des défis que cela représente pour ces juges, alors que nous nous efforçons de trouver un juste équilibre entre les droits de la personne et la sécurité nationale du Canada.

Pour commencer, voyons quelles sont les mises en garde qui s'imposent.

D'abord et avant tout, en tant que juge en exercice, il serait tout simplement malvenu de ma part de débattre ou de commenter les choix stratégiques que le législateur a faits dans les lois relatives à la sécurité nationale. Il s'agit là d'un aspect dont les citoyens canadiens et leurs parlementaires doivent débattre de manière éclairée. Cependant, nous les juges désignés de la Cour fédérale pouvons fournir au public des informations sur le rôle que nous jouons dans les questions relatives à la sécurité nationale de façon à aider à éclairer ce débat.

Deuxièmement, le travail que j'accomplis en tant que juge désignée requiert que j'aie accès à des renseignements de nature délicate qui sont hautement confidentiels, et il est donc important que, dans mes propos, j'observe un certain degré de retenue et de discrétion judiciaires, et cela pourrait limiter la possibilité que j'ai de traiter en détail de questions que vous vous posez peut-être au sujet des informations protégées.

Enfin, les commentaires que je ferai aujourd'hui n'engage que moi et je ne prétends pas m'exprimer au nom de mes collègues désignés.

Cela étant dit, je vais tout d'abord vous parler de ce grand concept qu'est la « sécurité nationale ».

Une définition de la sécurité nationale

La « sécurité nationale » est un aspect qui est plus difficile à définir qu'on le penserait.

En 1981, la Commission McDonald2 a soutenu que la sécurité nationale s'articule autour de deux notions : la nécessité de préserver le territoire de notre pays contre toute attaque, ainsi que celle de préserver et de maintenir les processus démocratiques de l'État. Toute tentative visant à miner ces deux notions par des moyens violents constitue une menace envers la sécurité du Canada.

La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité3 définit aussi les « menaces envers la sécurité du Canada »; ces menaces incluent l'espionnage et le sabotage, les activités influencées par l'étranger qui sont préjudiciables au Canada, les activités qui favorisent l'usage de la violence grave ou de menaces de violence dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique, ainsi que les activités qui visent à renverser le gouvernement.

Comme le définit la Loi, une menace envers la sécurité du Canada n'englobe pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités que je viens de mentionner.

D'un point de vue historique, il est possible qu'on ait assimilé la sécurité nationale à la « défense du royaume » mais on reconnaît aujourd'hui de façon générale que le terrorisme auquel on se livre dans un pays en particulier peut fort bien se répercuter sur les intérêts liés à la sécurité nationale dans d'autres pays.

C'est ainsi que dans Suresh4, une affaire mettant en cause un membre des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (mieux connus sous le nom des « Tigres tamouls »), la Cour suprême du Canada a conclu qu'un danger pour la sécurité du Canada ne se limite pas à une menace directe envers le pays lui-même.

Ce qu'il faut, d'après la Cour suprême, c'est « une possibilité réelle et sérieuse d'un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n'est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d'événements qui surviennent à l'étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada.5 »

La Politique canadienne de sécurité nationale6 fait état de trois intérêts fondamentaux, qui reflètent l'interdépendance de la sécurité de notre pays avec celle d'autres pays.

Ces intérêts fondamentaux sont les suivants :

  • protéger le Canada, et la sécurité des Canadiens au pays et à l'étranger;
  • s'assurer que le Canada n'est pas une source pour des menaces visant nos alliés;
  • contribuer à la sécurité internationale.

Au fil des ans, la nature des menaces envers la sécurité nationale du Canada s'est transformée. Durant la guerre froide, la principale menace pour la sécurité canadienne venait des capacités militaires et de renseignement des pays du Pacte de Varsovie.

Cependant, comme l'a écrit Angela Gendron, agrégée supérieure au Canadian Centre of Intelligence and Security Studies de l'Université Carleton, dans un article intitulé « Just War, Just Intelligence: An Ethical Framework for Foreign Espionage7 » :

[traduction] Depuis septembre 2001, les spécialistes de la sécurité nationale s'accordent en général pour dire que la menace la plus sérieuse émane des réseaux terroristes internationaux, mus par l'extrémisme religieux et prêts à faire usage d'explosifs conventionnels puissants ainsi que d'armes chimiques, biologiques, radiologiques ou nucléaires de destruction massive.

C'est là une menace nettement différente de celle qui se posait durant la guerre froide, quand nos agences du renseignement occidentales s'efforçaient surtout de faire obstacle aux activités des organismes de sécurité des pays du Bloc de l'Est. De nos jours, nos services du renseignement luttent contre les menaces que posent des individus idéologiquement motivés. Comme nous l'a montré l'affaire dite des « 18 de Toronto », certains de ces individus peuvent être des citoyens « locaux », qui sont nés et qui ont grandi au sein même de la société qu'ils veulent prendre pour cible.


La lutte contre les menaces terroristes d'origine externe ou interne est, bien sûr, une responsabilité qui incombe à la branche exécutive de l'État. Celle-ci doit recourir à ses ressources policières, militaires ou du renseignement en tenant dûment compte de nos libertés civiles, des valeurs canadiennes et des droits que protège la Charte des droits et libertés.

En édictant des lois visant à réaliser ces objectifs, les parlementaires ont confié à la Cour fédérale un rôle de premier plan à jouer dans le cadre de l'exercice de sa compétence sous le régime de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de la Loi sur la preuve au Canada8, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés9, de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes10 ainsi que de diverses modifications apportées au Code criminel en vertu de la Loi antiterroriste11.

Les défis que cela représente pour la Cour

Nul ne peut sérieusement contester que la préservation de la sécurité nationale du Canada est d'une importance considérable. Comme l'a fait remarquer le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, Warren Burger, dans une décision datant de 1981, [traduction] « aucun intérêt gouvernemental n'est plus impérieux que la sécurité de la nation12 », et ce, pour la simple raison que, sans cette sécurité, il est impossible pour l'État de protéger d'autres valeurs et intérêts, tels que les droits de la personne.


Le droit qu'a l'État de prendre des mesures énergiques qui sont proportionnées aux menaces exercées contre lui dans le but de protéger la sécurité nationale est reconnu en droit international, dans des instruments internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques13 ainsi qu'au sein de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, dans des arrêts tels que Chiarelli14 et Ruby15. Dans un arrêt datant de 2005,  Medovarski16, la Cour suprême a statué que les objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés dénotent l'intention du législateur de donner la priorité à la sécurité nationale du Canada dans les affaires d'immigration.

Parallèlement, toutefois, les démocraties libérales telles que le Canada, dont la Charte des droits est enchà¢ssée dans sa Constitution17, se définissent par le respect qu'elles manifestent à l'égard du principe de la primauté du droit ainsi que par la protection qu'elles offrent pour les libertés civiles et les droits de la personne. Les Canadiens s'attendent à la tenue d'audiences publiques, à un processus décisionnel transparent, à une obligation redditionnelle sur le plan politique ainsi qu'à de solides comptes rendus de la part d'une presse libre, et cela leur est généralement garanti.


La tension qui existe entre les impératifs de l'intérêt collectif à l'égard de la sécurité et les droits individuels est donc tout à fait évidente, et le défi que cela représente pour nous, les juges désignés, est de trouver un juste équilibre entre, d'une part, la sécurité et des intérêts nationaux légitimes et, d'autre part, les droits et l'égalité des individus de même que l'obligation des rendre des comptes au public et un processus décisionnel transparent.

L'obtention de cet équilibre est, je dois dire, une tà¢che extraordinairement difficile.

Le travail qu'accomplit la Cour fédérale

Dans tout ce contexte, qui sont donc les juges désignés de la Cour fédérale et que font-ils exactement?

Tout d'abord, permettez-moi d'expliquer que ce ne sont pas tous les juges de la Cour fédérale qui s'occupent des dossiers liés à la sécurité nationale, mais plutôt un groupe restreint désigné à cet effet. Il y a lieu de signaler que c'est le juge en chef de la Cour qui procède à la sélection de ces juges, et que le gouvernement du Canada n'a rien du tout à voir dans leur choix.

Le fait que seul un petit nombre de juges s'occupent des dossiers liés à la sécurité nationale permet, d'une part, de perfectionner et de concentrer l'expertise requise et, d'autre part, de favoriser la collégialité et la cohérence dans les décisions que nous rendons, tout en reconnaissant qu'il demeure toujours loisible à chaque juge de trancher chaque affaire de manière indépendante, comme bon lui semble.

Le fait que ce soit un groupe restreint de juges qui accomplit cette tà¢che limite aussi le risque que l'on diffuse par inadvertance des renseignements sensibles hautement confidentiels.

Pour approfondir leur compétence dans le domaine, les juges désignés se rencontrent souvent pour discuter des questions concernant la sécurité nationale, des récents développements jurisprudentiels, ainsi que des pratiques exemplaires. Nous avons également mis au point des programmes de formation continue qui portent sur les droits de la personne et les libertés civiles, sur la protection de la vie privée, sur la technologie, sur les affaires internationales et sur la sécurité nationale, et nous rencontrons de temps à autre des juges chargés de la sécurité nationale de compétence étrangère ainsi que des sommités dans le domaine.

Toutes les instances qui mettent en cause des questions touchant à la sécurité nationale se déroulent dans une installation spécialement conçue à cette fin, dans la région de la capitale nationale. Cette installation est dotée d'un greffe sécurisé où l'on reçoit et où l'on tient les informations confidentielles, de bureaux et de systèmes informatiques sécurisés, de même que de salles d'audience sécurisées. Nous avons au greffe un personnel spécialisé qui s'occupe exclusivement de questions liées à la sécurité nationale, et chacun des membres du personnel qui s'occupent d'instances liées à la sécurité nationale détient une habilitation de niveau de sécurité « Très secret » et est tenu par la Loi sur la protection de l'information18 de préserver de façon permanente le caractère secret des informations classifiées.


Pour ce qui est du travail que nous accomplissons, il est possible que l'on perçoive, d'après des reportages faits dans les médias, que la Cour fédérale s'occupe depuis un temps relativement court de questions liées à la sécurité nationale et qu'elle se limite aux affaires concernant les certificats de sécurité. Ni l'une ni l'autre de ces perceptions n'est exacte.

La Cour fédérale s'occupe de questions liées à la sécurité nationale depuis près de trente ans, et de telles questions peuvent se présenter dans diverses affaires qui lui sont soumises. Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous exerçons une compétence en matière de sécurité nationale sous le régime de diverses lois, dont la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le Code criminel et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Voyons maintenant quel est le rôle que nous jouons dans le cadre de chacune de ces lois.

Le Code criminel et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes

Avant de vous parler des trois sources principales de la compétence qu'exerce la Cour en matière de sécurité nationale, je traiterai brièvement de celles qui sont les plus récentes, soit les modifications apportées au Code criminel par la Loi antiterroriste et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Le Code criminel a été modifié en 2001 par la Loi antiterroriste en vue de conférer à la Cour fédérale le pouvoir de soumettre à un contrôle judiciaire l'inscription, par le gouverneur en conseil, d'une entité qui, a-t-on des motifs raisonnables de croire, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une activité terroriste, y a participé ou l'a facilitée.

La Cour s'est vu également conférer le pouvoir de délivrer des mandats qui permettent de saisir ou de confisquer des biens qu'un groupe terroriste possède ou utilise.

De plus, aux termes de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la Cour fédérale a obtenu le pouvoir d’examiner des demandes du SCRS en vue d’obtenir la divulgation d’informations que détient le CANAFE (le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada), ainsi que celui de soumettre à un contrôle les décisions par lesquelles le directeur du CANAFE s’oppose à la divulgation d’informations à des agents de police qui souhaitent s’en servir dans le cadre d’une enquête criminelle.
En ce qui concerne maintenant nos secteurs de compétence que l’on connaît mieux, je débuterai par une analyse du travail que nous réalisons dans le cadre de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité

Comme vous le savez, le SCRS est l’un des organismes ayant pour mission de protéger la sécurité nationale du Canada. Ce service a été établi en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, et il est investi de deux grands mandats.

Le premier mandat consiste à recueillir, à analyser et à conserver des informations et des renseignements au sujet d’activités qui, peut-on soupçonner pour des motifs raisonnables, constituent une menace envers la sécurité du Canada.

Le second grand mandat du SCRS a trait à son rôle d’assistance dans les domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. Dans le cadre de l’exécution de ce mandat, le SCRS est tenu d’aider le ministre de la Défense nationale et celui des Affaires étrangères, ici même au Canada, à recueillir des renseignements sur les capacités, les intentions ou les activités de n’importe quel État étranger, de n’importe quel groupe d’États étrangers ou de n’importe quelle personne (à part un citoyen canadien, un résident permanent ou une société constituée au Canada).

Comme l’explique Mme Gendron dans l’article que j’ai mentionné plus tôt, une bonne part des informations que l’on qualifie de « renseignements » proviennent en fait de sources publiques, comme des sites internet et des articles de journaux. Il existe toutefois certaines informations que l’on recueille par des moyens secrets, et il est nécessaire de procéder ainsi pour évaluer les menaces que posent des groupes et des régimes hostiles qui mènent leurs opérations dans la clandestinité. Pour dire les choses simplement, le sceau du secret s’impose si l’on veut contrer les activités de ceux qui opèrent en secret.

Cependant, le SCRS ne peut pas faire tout ce qui lui plaît dans le cadre du mandat que lui prescrit la loi. La primauté du droit exige que les tribunaux supervisent et autorisent le recours à des méthodes intrusives de collecte de renseignements qui seraient par ailleurs illicites. Et ce sont les juges désignés de la Cour fédérale qui exercent ce pouvoir.

À la suite d’une demande du SCRS, une demande que le ministre de la Sécurité publique doit lui-même approuver, la Cour peut délivrer des mandats qui permettent au SCRS de faire enquête sur une menace pour la sécurité du Canada ou d’aider le ministre des Affaires étrangères ou celui de la Défense nationale à recueillir des renseignements sur des questions qui ont trait à la conduite des affaires internationales ou à la défense du Canada.


Comment obtient-on ces mandats?


Il y a un juge désigné qui est en service 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour répondre à n’importe quelle demande de mandat qui peut être déposée, parfois de manière urgente. L’identité de ce juge n’est pas dévoilée à l’avance de façon à éviter toute possibilité ou toute perception de recherche d’un juge qui serait favorable à l’auteur de la demande.


La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prescrit que les demandes de mandat doivent être entendues à huis clos19 et elles sont instruites dans les locaux sécurisés de la Cour, à Ottawa. La demande et les éléments de preuve qui l’étayent sont déposés auprès de la Cour à titre confidentiel.


Le juge qui est de service étudie très attentivement les documents que produit le SCRS afin de s’assurer que le dossier répond à toutes les exigences de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité en vue de la délivrance d’un mandat. Ces exigences sont énoncées aux articles 7 et 21 à 28 de la Loi. Il y a une longue liste d’autorisations requises et de conditions prescrites par la loi qui doivent être remplies avant qu’un mandat puisse être délivré, et il incombe au juge désigné de veiller à ce que l’on ait satisfait à toutes ces exigences. Il faut parfois plusieurs heures pour se préparer à une audience relative à une demande de mandat.


Une audience a ensuite lieu, et y participent habituellement l’avocat du SCRS, l’affiant du SCRS ainsi que les analystes du SCRS qui sont bien au fait de la demande. L’audience est officiellement ouverte par un greffier de la Cour, qui demeure présent, comme dans le cas de n’importe quelle audience. Le juge peut interroger sous serment l’affiant ou l’analyste sur des questions de fait, et nous interrogeons systématiquement l’affiant de manière très détaillée à propos des faits sur lesquels le demandeur s’appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire.


Les préoccupations ou questions que le juge de service peut avoir sont soulevés et réglés, et le juge peut exiger des informations additionnelles s’il est insatisfait de celles que le SCRS lui a fournies. Il peut aussi interroger l’avocat du SCRS sur des questions de droit.


De temps à autre, quand une demande de mandat soulève, par exemple, une nouvelle question de compétence, la Cour peut désigner un amicus curiae afin de garantir que l’affaire soit pleinement débattue et que la Cour puisse bénéficier d’opinions divergentes. Cet amicus est habituellement un avocat détenant une attestation de sécurité et ayant une certaine expérience des questions liées à la sécurité nationale.


Comme l’a déclaré publiquement notre ancien juge en chef20, depuis les dernières décennies les juges désignés de la Cour critiquent de manière constructive le SCRS et ses avocats, tout en gardant à l’esprit les droits de la personne, la protection de la vie privée et les autres enjeux qui peuvent être soulevés  dans le contexte des mandats. Cela a permis d’améliorer de façon continue et progressive la qualité des demandes de mandat auxquelles la Cour fait droit, ainsi que les conditions dont les mandats sont assortis.

Comme je l’ai dit plus tôt, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prescrit que les audiences relatives aux demandes de mandat aient lieu à huis clos, et la raison en est évidente : on ferait échec à l’objet du mandat si le sujet visé apprenait que ses communications seront interceptées.

Cependant, la Cour communique de temps à autre une version publique des décisions qu’elle rend dans des affaires de mandat et qui soulèvent d’importantes questions de droit ou de compétence. Des décisions ont été publiées qui traitent de sujets tels que les questions de compétence géographique qui résultent de l’application de nouvelles techniques de collecte de renseignements21, ainsi que les questions d’interprétation législative qui se rapportent au fait de savoir quelles personnes peuvent être la cible ou non d’un mandat du SCRS22.

Il est habituellement nécessaire de caviarder en partie la teneur de ces décisions, mais la Cour s’efforce tout de même, dans la mesure du possible, de respecter le principe de la publicité des débats judiciaires, en reconnaissant que ce n’est que par la transparence que l’on peut rehausser la confiance du public envers le système.

Le processus d’obtention d’un mandat comporte un élément de supervision additionnel. C’est-à-dire que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, le CSARS, examine chaque année un certain nombre de demandes de mandat que la Cour a approuvées. Pour son examen, le CSARS a entièrement accès à tous les documents qui figurent dans les dossiers du SCRS, ce qui lui permet d’évaluer l’exactitude des preuves par affidavit que le SCRS soumet à la Cour.

Il ressort du Rapport annuel 2011-2012 du CSARS23 que, pour cet exercice-là, la Cour fédérale a approuvé 206 demandes de mandats; cinquante d’entre elles étaient de nouvelles demandes de  mandats, tandis que les 156 autres étaient des demandes de remplacement ou de renouvellement.

Il est donc évident que les mandats représentent une part importante du travail qu’accomplit la Cour fédérale dans le domaine de la sécurité nationale.

Avant de clore le sujet des mandats, j’aimerais signaler que le SCRS a pour mandat de recueillir des renseignements. Cependant, ces dernières années, les informations recueillies par le SCRS, des informations qui, au départ, étaient peut-être destinées à servir uniquement à des fins liées à des activités de renseignement, sont de plus en plus utilisées comme éléments de preuve dans des instances de nature administrative ou criminelle. Je reviendrai sur ce point plus tard, mais je voudrais simplement dire à ce stade-ci que dans les affaires de cette nature, il est possible pour la personne touchée de contester la validité du mandat ou l’admissibilité d’une partie ou de la totalité des éléments de preuve recueillis en vertu de ce mandat.

La Loi sur la preuve au Canada24

Voyons maintenant le travail que nous accomplissons dans le cadre de la Loi sur la preuve au Canada.
Selon l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, lorsque le procureur général du Canada est d’avis que des « renseignements sensibles » (au sens de la loi) sont sur le point d’être divulgués à tribunal judiciaire ou administratif quelconque au Canada, y compris dans le cadre d’une enquête judiciaire, la question de leur divulgation doit être renvoyée à la Cour fédérale pour décision. Cette situation peut se présenter, par exemple, dans le cadre d’une poursuite criminelle, comme l’affaire des « 18 de Toronto », ou d’une commission d’enquête, telle que l’Enquête Arar25. Ce ne sont toutefois là que quelques exemples, et il existe de nombreuses autres instances ou procédures qui peuvent soulever l’application de l’article 38.
Dans les affaires de cette nature, la tâche du juge désigné consiste à mettre en équilibre des intérêts opposés importants, ainsi qu’à déterminer si l’intérêt qui réside dans la divulgation de renseignements sensibles l’emporte sur l’intérêt du public à l’égard de leur non-divulgation.
En plus d’entendre la personne visée et son avocat, la Cour peut aussi désigner un amicus curiae pour représenter les intérêts de la personne visée dans le cadre de l’instance fondée sur l’article 38. Là encore, cet amicus est habituellement un avocat détenant une attestation de sécurité et ayant une certaine expérience des questions relatives à la sécurité nationale.

L’amicus aura accès à titre confidentiel aux documents contestés et il pourra mettre en doute les prétentions de l’État selon lesquelles la divulgation publique des informations en question porterait atteinte à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales. L’amicus peut aussi formuler des observations pour le compte de la personne accusée ou de la partie intéressée en ce qui a trait à l’exercice de mise en équilibre que le juge désigné doit accomplir.

La Cour exige que l’on produise des preuves par affidavit et elle les examine en vue d’établir si la divulgation des informations portera atteinte à la sécurité nationale. Le juge peut et doit recevoir, en dehors de la présence des avocats et des représentants de l’État, des observations de la partie privée quant au motif pour lequel elle a besoin des renseignements sensibles. Cela est extrêmement important si l’on veut mettre en équilibre les intérêts opposés.

Par exemple, dans une affaire de nature criminelle, l’avocat de la défense voudra peut-être expliquer au juge désigné un aspect de sa stratégie de défense de façon à ce que ce dernier puisse bien saisir la pertinence ou l’importance de certains documents non divulgués pour l’équité du procès lorsqu’il exécutera l’exercice de mise en équilibre que prescrit l’article 38. Il va sans dire que la défense ne voudra pas le faire en présence de l’avocat du ministère public et, pour éviter cela, il est possible qu’elle demande une audience ex parte devant le juge désigné.

Même si le juge désigné est convaincu qu’il y a un intérêt impérieux pour la sécurité nationale à ce que l’on ne divulgue pas certaines informations et que cet intérêt l’emporte sur celui qui existe à l’égard de la divulgation publique, ce juge devra alors examiner s’il existe d’autres moyens de protéger les droits de la partie dont les intérêts peuvent être touchés, ou l’intérêt du public à l’égard de la divulgation.

Cela peut consister à décider s’il est possible d’imposer des conditions à la divulgation des informations de façon à limiter l’atteinte portée à la sécurité nationale, à la défense nationale ou aux relations internationales. Cela peut consister à diffuser les informations sous une forme caviardée, ou sous une forme sommaire. Dans le cas des informations obtenues d’une tierce partie sous une promesse de confidentialité, il est possible de demander l’accord de la source de ces informations afin de pouvoir les divulguer.

À cet égard, il faut comprendre que le Canada est un acteur relativement petit sur la scène internationale et qu’une bonne part des renseignements reçus du SCRS émanent d’organismes du renseignement étrangers sous une promesse expresse de confidentialité. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ruby, le Canada est un « importateur net » de renseignements, et il est nécessaire d’obtenir ces derniers si l’on veut assurer la sécurité et la défense du Canada et de ses alliés26.

En fait, il est facile d’imaginer que la source d’une bonne part de nos renseignements se tarirait rapidement si le Canada se mettait à dévoiler unilatéralement des renseignements sensibles qu’il a reçus sous restriction d’un organisme du renseignement étranger. Les conséquences pourraient être désastreuses pour les Canadiens.

Même lorsqu’un juge de la Cour fédérale décide qu’il y a lieu de divulguer certaines informations, par exemple dans le cadre d’une instance criminelle, il est toujours loisible au procureur général du Canada d’ordonner qu’elles ne le soient pas27. Cette mesure peut toutefois donner lieu à un arrêt des procédures dans l’affaire criminelle si le juge du procès est convaincu que la non-divulgation aura pour effet de compromettre le droit de l’accusé à un procès équitable.

Voici quelques autres points qui se rapportent au processus fondé sur l’article 38.
La Loi sur la preuve au Canada, dans sa forme actuelle, requiert que toutes les instances fondées sur l’article 38 soient tenues à huis clos, même si toutes les parties sont présentes et qu’aucune information secrète n’est divulguée. La Cour ne peut même pas reconnaître l’existence d’une instance fondée sur l’article 38 sans l’accord du procureur général, et on en est venu à se demander si les décisions que rendait la Cour en vertu de l’article 38 pouvaient être communiquées, même à d’autres juges de la Cour désignés pour instruire de telles instances.

Cette situation a évidemment suscité des inquiétudes à propos du principe de la publicité des débats judiciaires et, dans une décision de 2007 mettant en cause le Toronto Star28, l’ancien juge en chef Allan Lutfy a conclu que plusieurs dispositions de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada enfreignaient ce principe, une valeur démocratique de base qui est inextricablement liée aux libertés fondamentales d’expression et de la presse que protège l’alinéa 2b) de la Charte.

Comme ces dispositions étaient par trop générales, elles ne respectaient pas le volet de l’atteinte minimale du critère énoncé dans l’arrêt Oakes29 et ne pouvaient donc pas être sauvegardées par l’article premier de la Charte. Le juge en chef Lutfy a donc ordonné que les dispositions contestées de l’article 38 reçoivent une interprétation atténuée de façon à autoriser la divulgation publique présumée de tout ce qui est déposé dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 38, à l’exception des documents et des informations ex parte.

Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ahmad30 – une affaire concernant les poursuites relatives aux membres des « 18 de Toronto » – les affaires fondées sur l’article 38 peuvent mettre en conflit deux obligations fondamentales de l’État dans notre système de gouvernement : la nécessité de protéger la société en empêchant la divulgation d’informations susceptibles de constituer une menace pour les relations internationales ou pour la défense ou la sécurité nationales; et la capacité de l’État de poursuivre les individus accusés d’infractions à nos lois.

La Cour suprême a conclu qu'avec le régime de l'article 38, le législateur a reconnu qu'il peut parfois être nécessaire de faire un choix entre ces objectifs, mais qu'il a mis au point un cadre complexe afin de tenter, dans la mesure du possible, de les concilier.

La Cour suprême a toutefois été très claire : lorsque ce conflit est insoluble, il ne saurait être question de tolérer un procès inéquitable. Suivant la primauté du droit, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière ne peut pas être compromis.

Les instances visées par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

Le dernier domaine dans lequel la Cour exerce sa compétence en matière de sécurité nationale est celui des instances qui relèvent de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Les plus connues d'entre elles sont les affaires liées à la délivrance d'un certificat de sécurité, encore qu'il puisse également se poser des questions liées à la sécurité nationale dans d'autres types d'instances en matière d'immigration.

Dans une affaire de certificat de sécurité, le ministre de la Sécurité publique et celui de la Citoyenneté et de l'Immigration expriment leur avis qu'une personne, autre qu'un citoyen canadien, est interdite de territoire au Canada pour raisons de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour grande criminalité ou criminalité organisée.

Il faut ensuite qu'un certificat de sécurité soit renvoyé au juge en chef de la Cour fédérale ou à un juge désigné afin qu'il se prononce sur son caractère raisonnable. Dans une affaire de certificat, la Cour fédérale s'occupe donc jusqu'à un certain point de soumettre à un contrôle judiciaire une décision gouvernementale. Notre mandat consiste à déterminer si, au vu de la preuve, le certificat de sécurité est raisonnable.
Il est important de signaler qu'une affaire de certificat de sécurité est une instance en matière d'immigration, et non un procès criminel, et que le juge a le pouvoir discrétionnaire de recevoir en preuve tout ce qu'il considère comme approprié, même si les informations ne seraient pas admissibles selon les règles de preuve ordinaires.

Si le caractère raisonnable du certificat est confirmé, cela devient une preuve concluante que la personne désignée est interdite de territoire au Canada et le certificat prend immédiatement effet à titre de mesure de renvoi.

La procédure établie dans le cadre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est destinée à servir de régime visant à procéder au renvoi sommaire du Canada des non-citoyens qui, considère-t-on, présentent un danger pour la sécurité du pays. Le droit de renvoyer des non-citoyens concorde avec la jurisprudence de la Cour suprême, comme l'arrêt Chiarelli, où la Cour suprême a considéré que « le principe le plus fondamental du droit de l'immigration » est que « les non-citoyens n'[ont] pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer »31. La Cour suprême a ensuite cité un extrait de sa décision antérieure dans l'arrêt Kindler32, en disant que « [l]e gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer dans notre pays et d'en expulser s'il le juge à propos ».

Il y a bien sûr eu des affaires de certificat qui se sont déroulées rapidement, de la manière sommaire envisagée par le législateur, mais cela n'a pas été la majorité des cas. Pourquoi?

Les raisons en sont nombreuses, et en voici quelques-unes.

Dans la loi, le législateur a prévu que lorsqu'une personne désignée dans un certificat de sécurité sollicite une protection, l'audience relative au caractère raisonnable du certificat doit être suspendue jusqu'à ce que le ministre se prononce sur la demande de protection.
Certaines instances ont été retardées pendant que l'on plaidait des contestations relatives à la validité constitutionnelle du processus des certificats de sécurité.

Certaines instances n'ont parfois pas été poursuivies avec célérité par des personnes désignées dans des certificats de sécurité.
Par ailleurs, dans le cas d'une personne gardée en détention, la Loi prévoit des examens périodiques des motifs de détention, et il s'agit souvent d'instances chaudement contestées.

En outre, le processus est lourd. Il comporte souvent un dossier volumineux, dont la personne désignée peut en contester une grande partie.
C'est probablement le processus de divulgation qui pose le plus gros problème sur le plan des retards. Depuis l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Charkaoui no 233, le gouvernement est tenu de divulguer la totalité des informations dont il dispose à l'égard de la personne désignée, que l'État se fonde ou non sur ces informations à l'appui de son dossier.

Cette exigence peut mettre en jeu des milliers et des milliers de documents, qui devront chacun être examinés avec soin afin de s'assurer qu'on ne dévoile rien qui porte atteinte à la sécurité nationale du pays.

En fait, une bonne part des informations sur lesquelles se fondent les ministres pour étayer le caractère raisonnable du certificat de sécurité comporteront des renseignements sensibles. La Loi confie au juge la responsabilité d'assurer la confidentialité des informations soumises à la Cour, si ce juge est d'avis que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Parallèlement, il incombe au juge désigné de veiller à ce que la personne désignée soit traitée équitablement et connaisse les arguments auxquels elle devra faire face.

De ce fait, le juge désigné, les avocats de l'État et les avocats spéciaux nommés pour représenter la personne désignée auront à passer en revue une masse énorme de documents confidentiels et à évaluer s'ils pensent que ces derniers peuvent être divulgués à la personne désignée. La Cour, bien sûr, rendra en fin de compte sa décision après avoir entendu les deux parties.

S'il est décidé que les informations ne peuvent pas être divulguées - par exemple, parce qu'elles ont trait à une enquête en cours et que la divulgation des informations attirerait l'attention de personnes agissant contre l'intérêt du Canada et leur permettrait de prendre des mesures d'évitement - ou permettrait d'identifier un informateur - il faudra dans ce cas examiner s'il est possible d'établir un sommaire des informations qui procurera à la personne désignée l'essentiel de ce qui est contenu dans le document en question, tout en protégeant l'identité de cet informateur ou l'enquête qui est en cours. Tout cela prend du temps.

Il est possible que l'on soulève des questions à propos des informations reçues d'un organisme ou d'un gouvernement étranger afin de savoir si ces informations ont été obtenues par la torture. Dans l'affirmative, elles seront exclues d'une affaire de certificat34. De telles questions peuvent exiger une longue audition de la preuve, et notre Cour a établi une jurisprudence détaillée relativement à cette question35.

Il est possible aussi que l'on conteste le mandat en vertu duquel ont été obtenus certains des éléments de preuve contre la personne désignée.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, le mandat du SCRS consiste à recueillir des renseignements. Cependant, ces dernières années, les informations recueillies par le SCRS, lesquelles étaient peut-être destinées au départ à servir uniquement à des fins de renseignement, ont fini par être utilisées comme éléments de preuve dans des instances de nature administrative ou criminelle.

Cette « judiciarisation » du processus de collecte de renseignements présente des défis au SCRS, car il se posera des questions différentes, suivant l'usage que l'on doit faire des informations.

Par exemple, le SCRS avait depuis longtemps l'habitude de détruire les bandes originales des conversations interceptées ainsi que les notes connexes une fois qu'un sommaire des conversations interceptées avait été établi, et ce sommaire était ensuite consigné dans une banque de données du SCRS par un analyste de cet organisme. Dans le passé, ces sommaires faisaient partie du dossier de l'État dans des instances relatives à un certificat de sécurité.

La politique qu'avait le SCRS de détruire des informations remonte aux recommandations de la Commission MacDonald, à la fin des années 1970, quand il a été suggéré que l'on ne conserve que les informations essentielles pour protéger les droits des personnes faisant l'objet d'une enquête. Cependant, cette pratique suscitait des préoccupations évidentes une fois que les informations en question allaient être utilisées comme preuve.
Certaines des communications interceptées n'avaient pas lieu au départ en anglais ou en français, et on établissait un sommaire à partir d'une traduction de la conversation originale. Ces interventions risquaient donc de nuire à la possibilité qu'avait la personne désignée de vérifier l'exactitude de la traduction ou du sommaire en vue de contester la preuve contre elle.

Dans Charkaoui no 2, la Cour suprême du Canada a conclu que le SCRS se devait de conserver les renseignements bruts tels que les notes opérationnelles ou les enregistrements d'interceptions, et que l'omission de le faire était un grave manquement à cette obligation, qui violait les droits que l'article 7 conférait à la personne désignée.

Dans un arrêt récent, Harkat36, la Cour d'appel fédérale a conclu que le préjudice que M. Harkat avait subi à cause de l'indisponibilité des documents de base originaux était tel qu'il y avait lieu d'exclure les sommaires sauf si M. Harkat était lui-même partie à la conversation, auquel cas il serait vraisemblablement en mesure de savoir ce qui avait été dit ou non dans la conversation en question. Cette question, convient-il de le signaler, repose actuellement entre les mains de la Cour suprême du Canada

Ce ne sont là que quelques exemples des problèmes qui se sont présentés dans des affaires relatives à un certificat de sécurité. Comme vous pouvez l'imaginer, chacune présente un défi difficile pour le juge désigné qui doit exécuter son mandat.

Conclusion

Les juges désignés de la Cour fédérale sont tous conscients que, comme l'a déclaré Jeremy Bentham, [traduction] « [l]a publicité est le souffle même de la justice. Elle est l'aiguillon acéré de l'effort et la meilleure sauvegarde contre la malhonnêteté37. » Nous sommes également bien conscients que lorsqu'une instance n'est pas soumise au regard critique du public, on a tendance à soupçonner que ce qui se déroule en secret doit être kafkaà¯en ou inique.

Cela dit, nous nous efforçons d'être le plus transparents possible dans ce que nous accomplissons, tout en reconnaissant qu'il y a forcément une partie de notre travail qui ne peut tout simplement pas se dérouler en public, avec toutes les protections dont est assorti le système contradictoire classique.

Les allocutions comme celle-ci font partie de ce processus de démystification, et j'espère que mes propos ont aidé à faire un peu de lumière sur le travail qu'accomplissent les juges désignés de la Cour fédérale dans le domaine de la sécurité nationale.

 

1 Certains passages de la présente allocution sont inspirés de discours antérieurs des juges Edmond Blanchard et Eleanor Dawson qui, à l'époque, siégeaient tous deux à la Cour fédérale.

2 La Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, « La liberté et la sécurité devant la loi : Deuxième rapport » (Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1981).

3 L.R.C. 1985, ch. C-23.

4 Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3.

5 Suresh, au paragraphe 88.

6 Protéger une société ouverte : la politique canadienne de sécurité nationale, voir : http://www.securitepublique.gc.ca/cnt/ntnl-scrt/scrng-fra.aspx

7 (2005) 18:3 International Journal of Intelligence and Counterintelligence 398.

8 L.R.C. 1985, ch. C-5, art. 37 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, articles 43 et 140).

9 L.C. 2001, ch. 27.

10 2000, ch. 17, article 1; 2001, ch. 41, article 48.

11 L.C. 2001, ch. 41.

12 Haig c. Agee, 453 US 280 (1981), à la page 307.

13 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, R.T. Can. 1976 no 47, 6 I.L.M. 368 (entrée en vigueur : 23 mars 1976, accession du Canada 19 mai 1976).

14 Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711.

15 Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3.

16 Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539.

17 Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

18 L.R.C. 1985, ch. O-5.

19 Article 27.

20 Discours-programme de l'honorable Allan Lutfy, juge en chef de la Cour fédérale : « La responsabilisation de la sécurité nationale : Perspectives internationales sur l'examen et la surveillance des renseignements », conférence donnée à la Norman Paterson School of International Affairs, Ottawa (Canada), le 18 mai 2005; voir http://cas-cdc-www02.cas-satj.gc.ca/portal/page/portal/fc_cf_fr/Speeches/Speech_18may05

21 Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Re) (C.F.), [2008] 4 R.C.F. 230; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Can.) (Re), [2009] A.C.F no 1153.

22 Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Can.) (Re), [2012] A.C.F. no 1536.

24 Prière de noter que ce discours fut livré avant que le Projet de Loi S-7 (Loi modifiant le Code Criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'Information) ne reçoive la sanction royale et ne devienne loi.

25 Commission d'enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (2006).

26 Au paragraphe 44.

27 Article 38.13.

28 Toronto Star Newspapers Limited c. Canada, [2007] 4 R.C.F. 434.

30 R. c. Ahmad, [2011] 1 R.C.S. 110.

31 Au paragraphe 24.

32 Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, au paragraphe 33.

33 Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] 2 R.C.S. 326.

34 Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, paragraphe 83(1.1).

35 Mahjoub (Re), [2010] A.C.F. no 900; Jaballah (Re), [2012] F.C.J. No. 20.

36 Harkat (Re), [2012] 3 R.C.F. 635.

37 The Works of Jeremy Bentham, publié sous la supervision de [€¦] John Bowring, 11 vol., (Édimbourg : Tait, 1843) vol. iv, page 316.

Date de modification : 2020-12-18

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