Présentation à la Réunion annuelle de l'Association du Barreau Canadien

 

Réunion annuelle - 13 au 15 août 2006

Discours de l'honorable Edmond Blanchard

 

Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui à St. John's et de participer à la présente rencontre.

Le sujet dont nous discutons intéresse vivement les Canadiens. Il s'agit d'un débat important qui a été qualifié de choc des titans par certaines personnes - les droits de la personne et la sécurité nationale. Ce sujet revêt une importance fondamentale pour nos valeurs démocratiques - la recherche d'un équilibre entre les droits de la personne, la dignité humaine et la nécessité d'assurer la sécurité des institutions nationales qui sont responsables de la protection de ces valeurs. Il est sain, dans une démocratie, de discuter d'un tel sujet.

Je propose aujourd'hui de discuter du rôle joué par la Cour fédérale en matière de sécurité nationale. Les lois prévoient que ces affaires sont entendues par le juge en chef de la Cour fédérale ou un juge de la Cour désigné par lui. Avant d'aller plus loin, je dois faire un certain nombre de mises en garde. En tant que juge, il ne convient pas que je me livre à une discussion ou que je fasse des commentaires sur les choix politiques que le législateur a fait en rapport avec la sécurité nationale. Cette question doit être débattue entre les citoyens et leurs représentants élus. Selon moi, mon rôle aujourd'hui consiste à éclairer le débat en donnant des renseignements sur le rôle de la Cour. En tant que juge désigné, mon travail m'amène à avoir accès à des renseignements sensibles et, par conséquent, il est important que je fasse preuve d'une certaine retenue judiciaire et d'une certaine prudence. Je ne pourrai donc pas discuter pleinement des questions qui peuvent toucher des renseignements protégés.

La Cour fédérale est une cour de justice créée par la loi et sa compétence quant aux questions de sécurité nationale est mentionnée dans un certain nombre de lois fédérales. Les juges de la Cour fédérale qui se voient attribuer par leur juge en chef l'exercice de la compétence de la Cour dans le domaine de la sécurité nationale, accomplissent leur tà¢che en conformité avec les lois suivantes :

  • La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS), L.R.C. 1985, ch. C-23.
  • La Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5.
  • La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, (la LIPR) L.C. 2001, ch. 27.
  • La Loi antiterroriste, L.C. 2001, ch.41.

 

Chacune de ces lois attribue au juge désigné des responsabilités particulières en matière de sécurité nationale. Je vais examiner comment nous exerçons cette responsabilité dans les demandes de mandat de perquisition; les demandes fondées sur l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada et les cas de certificats de sécurité. Ce faisant, je vais exposer le processus applicable dans chacun de ces cas et je vais discuter comment la Cour a abordé ses tà¢ches imposées par la loi dans le cadre de la tà¢che difficile qui consiste à équilibrer les intérêts en jeu. Je ferai cet exercice surtout en rapport avec les renseignements protégés et les instances tenues à huis clos. Notre tà¢che consiste en un rôle judiciaire élémentaire, c'est-à -dire que nous apprécions les faits à la lumière de la preuve, nous interprétons et nous appliquons les lois.

La Cour est appelée à examiner les décisions prises par l'organe exécutif. Ce n'est donc pas la Cour, dans les cas de certificat, qui décide si une personne constitue une menace pour la sécurité du Canada, mais plutôt le gouvernement par le biais de ses ministres. Le rôle de la Cour consiste à décider du caractère raisonnable du certificat de sécurité compte tenu de la preuve produite.

Définition de sécurité nationale :
L'expression " sécurité nationale " est un concept qui est plus difficile à définir qu'il n'y paraît à prime abord. La Commission McDonald a affirmé en 1981 que deux concepts étaient fondamentaux : la nécessité de protéger le territoire occupé par notre pays contre des attaques et la nécessité de protéger et de préserver le processus démocratique de notre gouvernement. Toute tentative de renversement de ce processus par des moyens violents constitue une menace envers la sécurité du Canada.

La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoit que les activités suivantes constituent des " menaces envers la sécurité du Canada " : l'espionnage et le sabotage, les activités influencées par l'étranger qui sont préjudiciables aux intérêts du Canada, les activités qui visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique, les activités qui visent le renversement du gouvernement.

La définition prévue dans la Loi sur le SCRS de l'expression" menace envers la sécurité du Canada ", ne vise toutefois pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités susmentionnées.

Historiquement, la sécurité nationale a pu équivaloir à la défense du territoire, mais il est maintenant reconnu que le terrorisme qui se déroule dans un pays donné peut toucher d'autres pays. Par conséquent, dans l'arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a conclu que la preuve d'une menace envers la sécurité du Canada ne se limite pas à la preuve d'une menace directe envers le Canada.

Selon la Cour, " il doit exister une possibilité réelle et sérieuse d'un effet préjudiciable au Canada. Néanmoins, il n'est pas nécessaire que la menace soit directe; au contraire, elle peut découler d'événements qui surviennent à l'étranger, mais qui, indirectement, peuvent réellement avoir un effet préjudiciable à la sécurité du Canada ".

La politique du Canada en matière de sécurité nationale traduit trois intérêts fondamentaux, lesquels reflètent les liens réciproques qui existent entre notre sécurité et celle des autres pays. Ces intérêts sont les suivants :

  1. protéger le Canada et les Canadiens dans le pays et à l'étranger;
  2. s'assurer que le pays n'est pas une source pour des menaces visant nos alliés;
  3. contribuer à la sécurité internationale.

Au cours des années, les menaces envers la sécurité nationale ont changé. Durant la guerre froide, la principale menace envers la sécurité du Canada était constituée par les capacités militaires et les capacités en matière de renseignement du Pacte de Varsovie. Pour le Canada, depuis la tragédie d'Air India survenue en 1985, et pour nos alliés, depuis le 11 septembre, la principale menace envers notre sécurité nationale est actuellement, selon toute vraisemblance, celle qui est posée par des personnes ou des groupes de personnes motivés par une idéologie. Comme l'ont démontré les événements récents qui se sont déroulés en Espagne, au Royaume Uni, au Canada et aux États Unis, ces personnes peuvent être des citoyens ou des résidents autorisés, nés ou élevés dans les sociétés qu'ils choisissent comme cible.

C'est évidemment à l'organe exécutif du gouvernement qu'il incombe de combattre les menaces terroristes provenant de sources externes ou internes. Il doit se servir de la police, de l'armée ou des services de renseignement tout en respectant nos libertés civiles, nos valeurs canadiennes et nos droits protégés par la Charte des droits et libertés. En adoptant des lois visant à atteindre ces objectifs, les membres du Parlement ont donné à la Cour fédérale un important rôle à jouer.

Je vais maintenant discuter du rôle de la Cour dans le contexte de la sécurité nationale.

La nature de la compétence de la Cour fédérale en matière de sécurité nationale Le rôle de la Cour fédérale en matière de sécurité nationale n'est pas nouveau. Pendant plus de vingt ans, le juge en chef de la Cour fédérale ou les juges de la Cour désignés par lui, ont été saisis d'instances en matière de sécurité nationale en vertu de la Loi sur le SCRS, de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada et des lois en matière d'immigration.

Avant d'élaborer d'avantage sur chacune de ces trois sources de compétence, je tiens à souligner, par souci d'exhaustivité, que depuis le 11 septembre, la compétence de la Cour est devenue légèrement plus étendue. La Loi antiterroriste de 2001 donne compétence à la Cour d'exercer un contrôle judiciaire sur la liste, dressée par le gouverneur en conseil, des entités pour lesquelles il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles se sont livrées ou ont tenté de se livrer à une activité terroriste, y ont participé ou l'ont facilitée.

La Cour s'est également vu accorder compétence pour délivrer des mandats de saisie, de blocage ou de confiscation de biens appartenant à un groupe terroriste ou des biens utilisés par celui ci.

Je reviens maintenant aux lois qui régissent notre compétence plus traditionnelle. Premièrement, notre travail en vertu de la Loi sur le SCRS. La primauté du droit exige qu'il y ait une surveillance judiciaire et une autorisation du recours à des méthodes intrusives de cueillette de renseignements qui seraient par ailleurs illégales. Cette compétence appartient exclusivement à la Cour fédérale.

Sur demande présentée par le SCRS, approuvée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre de la Sécurité publique), la Cour peut délivrer des mandats permettant au Service d'enquêter sur une menace visant la sécurité du Canada ou d'aider le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense nationale à recueillir des renseignements sur des questions qui ont trait à la conduite des affaires internationales ou à la défense du Canada.

Comment obtient-on ces mandats? Un juge désigné est en service à tous les sept jours afin de répondre aux demandes qui peuvent être présentées. Je dois souligner que, contrairement à ce que j'ai lu sur Internet, le SCRS ne joue aucun rôle quant à savoir quels juges de la Cour sont désignés par le juge en chef pour entendre les questions de sécurité nationale. Le nom du juge de service n'est pas communiqué à l'avance, et ce, afin d'éviter que l'on tente de trouver un juge accommodant ou que l'on ait le sentiment que l'on a choisi un juge accommodant. Les demandes de mandat sont entendues en privé, dans les locaux sécuritaires de la Cour. La demande et les éléments de preuve déposés à l'appui de celle ci sont déposés à titre confidentiel et demeurent sous le contrôle de la Cour en tant que cour d'archives.

Le juge de service étudie les documents déposés afin de s'assurer que la preuve sous serment satisfait à toutes les exigences de la Loi sur le SCRS quant à la délivrance d'un mandat. Ces exigences sont mentionnées aux articles 21 à 28 de la Loi. Comme l'a souligné le juge en chef, au cours des vingt dernières années, les juges désignés de la Cour ont fait part de commentaires constructifs au Service et à ses avocats et ces commentaires ont permis de sans cesse améliorer la qualité des demandes de délivrance de mandat ainsi que les modalités des mandats accordés par la Cour.

Une audience est tenue et, d'ordinaire, l'avocat du SCRS, le déposant pour le compte du SCRS et les analystes du SCRS qui connaissent bien la demande, assistent à l'audience. La Cour est officiellement ouverte par un greffier qui demeure en Cour, comme c'est le cas dans toute audience. Le juge a pleinement l'occasion d'interroger sous serment le déposant ou l'analyste sur des questions de fait. L'avocat du SCRS peut, évidemment, être interrogé sur des questions de droit.

Dans le cadre de sa surveillance, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou le CSARS, examine à tous les ans un certain nombre de demandes de délivrance de mandat approuvées par la Cour. Dans le cadre de son examen, le CSARS a pleinement accès à tous les documents déposés au dossier afin d'évaluer l'exactitude de la preuve par affidavit déposée à la Cour.

Le rapport 2004-2005 du CSARS révèle que - pour cet exercice financier - la Cour a approuvé la délivrance de 247 mandats, dont 40 étaient de nouveaux mandats et 207 étaient des mandats existants qui ont été remplacés, renouvelés ou complétés. Neuf mandats ont fait l'objet d'une demande urgente. Il s'agit donc d'une tà¢che permanente pour les juges désignés de la Cour.

Je vais maintenant traiter de notre travail en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Lorsque le procureur général du Canada estime que des renseignements sensibles (telle que cette expression est définie) sont sur le point d'être divulgués devant une cour de justice ou un tribunal au Canada, notamment dans le cadre d'une enquête judiciaire, l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit que la question de la divulgation doit être déférée à la Cour fédérale afin que celle ci se prononce sur celle ci.

La tà¢che du juge désigné dans ces cas consiste à rechercher un équilibre entre les intérêts légitimes opposés : l'intérêt dans la non divulgation de renseignements sensibles l'emporte sur l'intérêt public à la transparence. La Cour exige une preuve par affidavit précise pour établir que la divulgation de renseignements sera préjudiciable à la sécurité nationale et elle examine cette preuve. Le juge désigné peut recevoir et reçoit, en l'absence de l'avocat et des représentants du gouvernement, les observations du demandeur quant à la raison pour laquelle il a besoin des renseignements sensibles. Cela est très important lorsque l'on recherche un équilibre entre des intérêts opposés. Les questions examinées par le juge désigné peuvent comprendre la question de savoir si une partie des renseignements peuvent être rendus publics, si les renseignements peuvent être rendus publics sous forme de résumé, si le consentement à la divulgation peut être obtenu auprès de la source du renseignement.

Des questions ont été soulevées quant à la nécessité de l'ensemble des exigences en matière de confidentialité qui entourent l'article 38. Toutes les instances introduites en vertu de l'article 38 doivent se dérouler en privé, même lorsque toutes les parties sont présentes et qu'aucun renseignement secret n'est divulgué. La Cour ne peut pas reconnaître l'existence d'une instance introduite en vertu de l'article 38 en l'absence du consentement du procureur général et il y a incertitude quant à savoir si les décisions rendues par la Cour en vertu de l'article 38 peuvent être distribuées, même aux autres juges de la Cour désignés pour tenir ces instances. Dans une récente décision impliquant le Ottawa Citizen, notre juge en chef, dans ses motifs écrits, a fait part de ses inquiétudes à propos des difficultés présentées par certaines exigences de l'article 38 en matière de confidentialité.

Je vais maintenant traiter de notre travail en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. En vertu de cette loi, notre compétence la plus connue a trait aux certificats de sécurité signés par le ministre de la Sécurité publique et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration par lesquels ils certifient que, selon eux, une personne, autre qu'un citoyen canadien, est interdite de territoire au Canada pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée.

La procédure établie en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés devait être un mécanisme de renvoi sommaire du Canada des non citoyens qui représenteraient une menace visant la sécurité du Canada. Le droit de renvoyer des non citoyens est conforme à la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Chiarelli où la Cour a affirmé que

  • le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer ou de demeurer au Canada
  • La Cour cite ensuite un de ses arrêts précédents, Kindler, selon lequel le gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer dans notre pays et de les en expulser s'il le juge à propos
  • Ce principe de droit a récemment été reformulé par la Cour suprême dans Medovarski.

Certes, au cours des dernières années, ce processus n'a pas été d'une nature particulièrement sommaire. En adoptant les dispositions relatives à la détention, le législateur s'attendait-il à ce que des personnes soient incarcérées pour ces longues périodes de temps? Pourquoi ces causes ont elles traîné en longueur? Il y a un certain nombre de raisons et un certain nombre d'opinions légitimes. Parmi eux, les suivants :

Premièrement, le législateur a prévu dans les lois que lorsqu'une personne visée par un certificat de sécurité fait une demande de protection en vertu de l'article 112 de la LIPR, l'audience relative au caractère raisonnable du certificat doit être ajournée jusqu'à ce que le ministre statue sur la demande de protection. Deuxièmement, les procédures n'ont d'ordinaire pas été poursuivies de façon rapide par les personnes visées par des certificats de sécurité. Troisièmement, des procédures ont été retardées pendant que des contestations constitutionnelles ont été présentées pour débattre à nouveau la validité constitutionnelle du processus de certificat de sécurité. De plus, on peut se demander, et il ne s'agit que d'une hypothèse, que tant que la question qui a été laissée en suspens dans Suresh quant au caractère acceptable d'un retour à la torture ne sera pas réglée, de nombreuses affaires comme celle là continueront de traîner en longueur. En ce qui concerne les contestations constitutionnelles, je conseille de débattre à nouveau parce que le processus de certificat de sécurité a été contesté sur le plan constitutionnel devant la Cour fédérale dans Ahani. Dans une décision détaillée, la juge Donna McGillis a conclu que les dispositions figurant dans la loi antérieure, lesquelles sont analogues aux articles 77 et 78 de la LIPR, c'est à dire les dispositions qui font état du processus du certificat de sécurité, ne violaient pas les droits protégés en vertu des articles 7 et 9 et de l'alinéa 10c) de la Charte. En appel, la Cour d'appel a conclu que la juge McGillis a correctement tranché chacune des questions soulevées. De plus, l'autorisation de pourvoi à la Cour suprême a été rejetée. En ce qui concerne les questions touchant la Charte qui ont été débattues devant la juge McGillis, sa décision reflète l'état actuel de la jurisprudence. Récemment, la Cour d'appel fédérale dans les décisions Charkaoui, Almrei, et Harkat a confirmé la constitutionalité des dispositions de la LIPR qui ont trait aux certificats de sécurité. Ces questions sont présentement soumises à la Cour suprême. Dans Charkaoui, on a plaidé devant la Cour suprême que le processus du certificat de sécurité est invalide parce qu'il porte atteinte à l'indépendance de la magistrature.

Pour revenir au processus du certificat de sécurité, dès qu'un certificat de sécurité a été signé par les ministres, un étranger doit être arrêté et détenu en attendant que la décision relative au caractère raisonnable du certificat soit rendue. Dans le cas d'un étranger qui est résident permanent, les ministres peuvent délivrer un mandat d'arrestation contre lui s'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui, ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

La Loi prévoit un contrôle judiciaire par un juge de la Cour fédérale de la détention d'un résident permanent en attendant qu'une décision soit rendue quant au caractère raisonnable du certificat. Dans Jaballah, le juge Mackay a étendu cet avantage au résident non permanent.

La Loi prévoit également qu'un certificat de sécurité doit être déféré au juge en chef ou à un juge désigné pour que celui ci se prononce sur son caractère raisonnable. Le juge doit fonder sa décision quant au caractère raisonnable du certificat sur les renseignements qui ont été soumis au juge qui s'est vu accorder le pouvoir discrétionnaire de recevoir en preuve tout ce qu'il estime pertinent, même si les renseignements ne seraient pas admissibles en preuve en vertu des règles normales en matière de preuve.

Une grande partie des renseignements sur lesquels les ministres se sont fondés pour étayer le caractère raisonnable du certificat de sécurité sont des renseignements secrets. Par conséquent, la Loi exige que le juge garantisse la confidentialité des renseignements soumis à la Cour lorsque celui-ci estime que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Le juge est tenu d'examiner les renseignements en privé et, à la demande des ministres, le juge doit exclure de l'audience la personne visée ainsi que son avocat si, selon lui, la divulgation de cette partie de la preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.

Compte tenu des exigences de non divulgation, pour que la personne visée soit suffisamment informée des circonstances ayant donné lieu au certificat, le juge doit préparer et fournir à la personne un résumé du plus grand nombre possible de renseignements qu'il a reçus et qui peuvent être divulgués sans porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Voici des exemples de renseignements qui doivent demeurer confidentiels :

  • Les renseignements provenant de sources humaines, lorsque leur divulgation permettrait d'identifier la source et risquerait de mettre sa vie en danger.
  • Les renseignements concernant des enquêtes en cours lorsque la divulgation de ces renseignements alerterait ceux qui agissent contre les intérêts du Canada, leur permettant de se soustraire aux recherches.
  • Les renseignements transmis par des pays étrangers ou des services de renseignement étrangers, lorsque la divulgation non autorisée de ces renseignements porterait ces pays ou ces services à ne plus confier de secrets à un destinataire qui n'est pas digne de confiance ou qui n'est pas à même d'en assurer la confidentialité. Dans Ruby, la Cour suprême a fait remarquer que le Canada est un importateur net de renseignements et que ceux ci sont considérés nécessaires à la sécurité et à la défense du Canada et de ses alliés.
  • Les renseignements concernant les techniques et les moyens de surveillance ainsi que certaines méthodes ou techniques d'enquête employées par le Service, lorsque cette divulgation aiderait à se soustraire à la détection, à la surveillance ou à l'interception de leurs communications, des personnes ayant attiré l'attention du Service.

Si le caractère raisonnable du certificat est confirmé, il devient une preuve concluante que la personne visée est interdite de territoire au Canada et le certificat prend effet immédiat de mesure de renvoi. La décision du juge quant au caractère raisonnable du certificat ne peut faire l'objet d'aucun appel, ni d'aucun contrôle judiciaire.

La procédure exigée par le législateur quant à l'examen du caractère raisonnable du certificat de sécurité met donc le juge désigné dans une position fort inhabituelle et fort difficile.

Les lois prévoient qu'il incombe au juge désigné de garantir la confidentialité des renseignements soumis à la Cour lorsque leur divulgation serait préjudiciable. En l'absence de l'avocat de la personne visée, le juge désigné doit examiner minutieusement les renseignements fournis par une partie. Comme l'a affirmé mon collègue le juge Simon Noà«l dans Charkaoui, le juge désigné doit acquérir " une connaissance approfondie " des renseignements confidentiels. Le juge doit être " curieux, préoccupé par ce qui est avancé et être d'un scepticisme ayant comme objectif de faire un examen critique des faits ". Lorsque cela est nécessaire le juge peut questionner l'interprétation [faite par le Service] des faits et vérifier s'il n'y a pas d'autres possibilités d'interprétation pouvant jouer en faveur " de la personne visée par le certificat. Il doit faire cela en toute objectivité, indépendance et impartialité.

La Cour est parfaitement consciente des préoccupations qui surgissent lorsque des procédures ne peuvent faire l'objet d'aucun examen public. En réponse, nous avons adopté des mesures pour répondre à ces préoccupations lorsque nous accomplissons nos tà¢ches. La Cour a notamment accepté la responsabilité d'examiner d'une manière rigoureuse et critique les renseignements confidentiels soumis à la Cour et vérifier s'il existe des preuves disculpatoires. D'une manière générale, si des renseignements confidentiels sont fournis par une source humaine, nous enquêtons sur l'origine et la durée de la relation entretenue avec le SCRS; nous tentons de savoir si la source a été rémunérée en échange des renseignements, s'il existe un motif connu, autre qu'un motif d'ordre financier, qui a amené la source à fournir des renseignements, si des pressions ont été exercées par les autorités gouvernementales (officier de l'immigration, policier) et s'il existe un motif connu ou possible qui a pu amener la source à donner des renseignements faux ou trompeurs.

Si les renseignements sont fournis par un autre service de renseignements, nous nous demandons comment le Service évalue la qualité des renseignements transmis par ce service. Existe-t-il une confirmation indépendante des renseignements? Le service a-t-il son propre programme qui pourrait l'amener à teinter les renseignements fournis au Canada? Le service est-il tout simplement un intermédiaire qui transmet des renseignements fournis par un service moins fiable ou est-il un service reconnu pour le peu de cas qu'il fait des droits de la personne?

Si les renseignements sont transmis par des sources techniques, nous nous interrogeons sur l'exactitude des transcriptions, notamment de l'exactitude de la traduction. Nous nous interrogeons également quant à la possibilité que l'interprétation des renseignements n'ait pas été impartiale.

Nous nous efforçons également de fournir le plus de renseignements possible à l'avocat de la personne visée par le certificat de sécurité. En ce qui concerne la procédure, la Cour fait de son mieux pour faire preuve de la plus grande transparence possible dans ses motifs et dans ses allocutions publiques. Enfin, la Cour tente d'améliorer l'expertise qu'elle a acquise au cours des vingt dernières années. Maurice Archdeacon, un ancien directeur administratif du CSARS et un ancien inspecteur général du SCRS, a travaillé avec la Cour afin d'améliorer notre programme continu de formation des juges en ce qui concerne les questions de vie privée, de droits de la personne et de sécurité nationale.

Les critiques du processus du certificat de sécurité continuent de faire valoir qu'il existe de meilleures façons de mener les procédures relatives à la sécurité nationale. Ils prétendent que le juge désigné n'est pas en position de vérifier adéquatement la fiabilité des renseignements et que, pour cette raison, la perception de neutralité des juges est entachée. Certaines personnes prétendent que le processus utilisé il y a quelques années par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) dans les cas d'immigration est un meilleur processus parce qu'on croit qu'il faisait appel à l'avocat spécial ou à l'ami de la cour. Sans nous livrer à un débat sur la question qui est présentement soumise à la Cour suprême, il vaut la peine de souligner que le processus du CSARS mentionné était très similaire aux méthodes utilisées dans une enquête judiciaire. L'avocat du CSARS a travaillé pour le membre du comité qui a présidé l'audience et il a appuyé ce dernier à tous égards. Il a contre-interrogé tous les témoins au cours d'une séance publique ou d'une séance à huis clos. L'avocat du CSARS a également proposé de poser des questions qui lui ont été suggérées par l'avocat de la défense durant les séances à huis clos alors que cette personne était nécessairement absente. Mais il n'a donné aucune assurance que les réponses seraient transmises à l'avocat de la défense. L'avocat du CSARS n'a jamais agi, à l'audience, au nom de la personne visée, comme l'aurait fait un avocat spécial au Royaume-Uni. La Cour a exprimé l'avis que nous avons compétence pour nommer un Amicus pour aider la Cour lorsque les circonstances justifient que l'on procède à une telle nomination. Dans les rares cas où la question a été débattue, la Cour a conclu que la nomination n'était pas justifiée dans les circonstances de l'espèce.

Peu importe le rôle, le cas échéant, que l'avenir réserve aux avocats spéciaux ou à l'amicus curiae, il est important, d'entrée de jeu, que le rôle joué par ces personnes dans le cadre du processus soit clairement défini, peu importe comment on les appellera. Il vaut peut-être la peine que l'on réfléchisse sur les questions suivantes dans le cadre de l'élaboration d'une approche canadienne :

  • Devrions-nous importer le modèle d'avocat spécial du Royaume-Uni? Le modèle britannique ne permet pas à l'avocat de recevoir des directives de la part des personnes qu'il représente une fois que l'avocat a eu accès aux documents protégés. Cela a mené à d'importants problèmes sur le plan de la relation avocat client.
  • Devrions-nous adopter le modèle de l'ami de la cour dans lequel l'avocat doit aider la Cour à vérifier les renseignements et n'est pas tenu de défendre les intérêts de la personne visée par le certificat de sécurité?
  • Un conseiller versé dans les questions de sécurité, et qui a accès aux renseignements protégés, devrait-il être mis à la disposition de la Cour?

Peu importe où la discussion nous mènera, il est important que nous ne perdions pas de vue le fait que, dans les causes de certificats de sécurité, la Cour fédérale siège essentiellement en contrôle judiciaire de la décision du gouvernement. Notre mandat consiste à décider, d'après la preuve, si le certificat de sécurité a un caractère raisonnable.

Conclusion
Pour des raisons de nécessité, certaines tà¢ches qui ont trait à la sécurité nationale ne peuvent pas être effectuées en public avec toutes les protections qui accompagnent notre système de débats contradictoires. En même temps, le rôle du juge en tant qu'enquêteur ne fait pas partie de notre tradition de common law. La Cour fédérale intervient pour atténuer le choc des titans, dans des situations de fait qui ne changeront probablement pas dans un proche avenir, et ce, afin d'assurer le meilleur équilibre possible entre, d'une part, les droits de la personne, les droits civils, l'égalité et, d'autre part les impératifs liés à la sécurité nationale.

Date de modification : 2019-03-23

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