La médiation devant la Cour fédérale- Mes expériences personnelles, Réunion avec le Comité de liaison entre la magistrature et le Barreau de Montréal

 

Réunion avec le Comité de liaison entre la magistrature et le Barreau de Montréal, l'honorable Sean Harrington

Le 10 janvier 2013

J’ai donné environ une douzaine de conférences de règlement des litiges. Toutes ont été couronnées de succès, et ce, pour deux raisons principales. Les protonotaires responsables de la gestion des instances ont recommandé que je sois désigné pour le faire. À une exception près, il était question d’amirauté, mon domaine de pratique avant que je sois nommé juge. J’étais chaque fois appelé à fournir une évaluation neutre.

La plupart de conférences de règlement des litiges (habituellement dans un processus de médiation) se déroulent dans le contexte de la gestion des instances. Elles sont généralement données par le juge responsable de la gestion de l’instance, habituellement un protonotaire. Bien que les juges ne soient pas souvent désignés pour la gestion d’instances, j’en gère toutefois actuellement quelques-unes et tiendrai ce mois-ci une première conférence de règlement dans l’une de celles-ci.

Ma participation se fait souvent à la demande de protonotaires. Il s’agit d’instances assujetties à une gestion spéciale, dont les parties sont pressées d’en arriver à une résolution, bien qu’elles aient besoin d’aide pour ce faire. Il s’agit d’instances en matière d’amirauté, impliquant souvent plusieurs parties désireuses de recevoir une évaluation neutre d’un initié dans ce domaine. Elles veulent une prédiction de l’issue de l’instance advenant son instruction. Se trouvent souvent en cause des assureurs avisés. Dans ces instances en matière commerciale, les sensibilités personnelles et les susceptibilités sont mises de côté : le volet émotionnel n’est ni nécessaire, ni à propos.

Je tiens à souligner que les évaluations sont des prédictions, sans plus. Le juge qui procède à une évaluation neutre ne peut évaluer la crédibilité des témoins ou, s’il s’agit de témoins experts, ne saurait prédire lequel d’entre leurs témoignages aurait la faveur du juge d’instruction. Les parties recherchent essentiellement un expert dans le domaine en cause. Il arrive qu’un avocat ou un client aient été indument têtus : l’avis d’un évaluateur neutre et averti est parfois très révélateur.

J’ai mené des conférences de règlement de litiges mettant en cause plusieurs défendeurs. Advenant l’instruction du procès, il se pourrait qu’aucun d’eux ne soit redevable, ou qu’un seul d’entre eux le soit. L’un des grands avantages d’une conférence est qu’il y a place au compromis. Par exemple, l’évaluateur neutre peut évaluer que les parties ont des chances égales de réussir, ou qu’elles sont d’un tiers pour deux tiers, ou vice-versa. Ce qui est sûr, c’est que le juge d’instruction, lui, devrait trancher : ce serait alors tout au rien.

Mon approche se prêterait bien à d’autres domaines du droit commercial, notamment la propriété intellectuelle, pour autant toutefois que l’évaluateur connaisse bien le domaine en cause. Elle pourrait s’avérer infructueuse dans d’autres domaines, comme les réclamations des Premières Nations.

Selon les circonstances, j’ai déjà eu recours à des offres sous scellé. Le demandeur me révèle ce qu’il serait prêt à accepter, et le défendeur, ce qu’il serait prêt à offrir. Advenant la coïncidence improbable que les offres sont identiques, il y a règlement. Si le défendeur est prêt à offrir davantage que ce que serait prêt à accepter le plaignant, il y a règlement par partage de la différence. L’exercice se solde rarement par un règlement, en raison d’un écart entre les offres, mais ont alors lieu des discussions et un va-et-vient diplomatique intéressants.

À titre d’exemple, j’ai procédé à ma première évaluation neutre à la suggestion du protonotaire Lafrenière. Il traitait alors d’une avarie commune, une branche plutôt ésotérique du droit maritime, et savait que j’avais des connaissances spécialisées en tant qu’ancien président de l'Association canadienne de dispacheurs. Ayant donc une connaissance approfondie du règlement des avaries, j’ai pu, lors de huis clos, souligner aux parties les faiblesses de leurs positions respectives.

Plusieurs de ces conférences avaient trait à des pannes de moteurs de navires. Plusieurs acteurs ou facteurs pourraient être à l’origine de telles pannes : l’équipage du navire pourrait avoir failli à son entretien ; la construction pourrait être défectueuse, ou alors les problèmes pourraient résulter de mauvaises réparations. Les causes pourraient même être multiples. Compte tenu des risques inhérents à tout procès et des coûts qui y sont associés, il y a certes lieu d’affirmer que le pire des règlements vaut mieux que la meilleure des victoires au procès. Les parties sont habituellement assurées, et les assureurs ont l’habitude d’évaluer les risques et de limiter ceux-ci en optant pour un règlement.

La seule fois où j’ai été appelé à résoudre une instance ne se rapportant pas au droit maritime, c’était à la suggestion du protonotaire Morneau. Il s’agissait essentiellement d’une dispute entre locataire et propriétaire, où ce dernier reprochait au locataire d’avoir omis de faire l’entretien nécessaire de l’immeuble et de le remettre dans l’état où il l’avait reçu, compte tenu de l’usure normale. Il se trouve que l’instance reposait sur un principe sous-jacent qui s’appliquait aussi à l’affrètement : j’ai donc pu régler l’instance en me fondant sur des manuels comme Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, dont les parties n’avaient encore jamais entendu parler!

Il arrive aussi que ce soit les parties qui suggèrent qu’un juge ou protonotaire en particulier soit nommé pour mener une conférence de règlement. Le juge en chef essaie d’accéder à de telles demandes dans la mesure du possible.

Date de modification : 2019-03-24

This is a Modal Popup Form